Les deux camps


Il y a toujours eu deux camps :

Celui de l’ordre et celui de la déconstruction.

C’est vrai pour la politique, la religion, le marketing, la musique, l’architecture, le jardinage, l’éducation…

Dans chacun de ces domaines, certains défendent l’ordre, les règles, les traditions et les structures établies.

Tandis que d’autres cherchent à faire table rase du passé pour construire quelque chose de nouveau, de plus ouvert et de plus libre.

À chaque fois, c’est la même histoire : les membres de chacun de ces deux camps sont persuadés qu’ils ont raison et que le camp d’en face est dans l’erreur.

Mais pourtant, à chaque fois, ils ont tous tort :

Ce qu’ils n’avaient pas vu, faute de ne pas avoir pris le recul nécessaire, c’est que tout fonctionne par cycles et que tout s’équilibre :

La nuit et le jour, l’hiver et l’été, l’effort et le repos, le progrès et la tradition, la vie et la mort, la construction et la déconstruction de toute idée et de toute chose.

Ceux qui ont fait la Révolution en France croyaient aux droits de l’homme. Puis ils se sont mis à couper toutes les têtes qui dépassaient, à brûler et à noyer des gens, y compris des enfants.

Puis, sur les cendres de la Révolution, un empereur est arrivé…

L’écrivain Tolstoï était du côté des pauvres et des paysans, et quand les bolcheviques lui ont demandé pourquoi il ne rejoignait pas leur mouvement, il a répondu qu’il ne pouvait pas soutenir une révolution par les armes. Il disait que ceux qui utilisent la force pour arriver au pouvoir continueraient à l’utiliser une fois qu’ils l’auraient gagné. L’histoire lui a donné raison : les régimes communistes ont fait 100 millions de morts, au nom de l’égalité et de la défense des opprimés.

En d’autres termes, ceux qui voulaient déconstruire, ceux qui voulaient détruire l’ordre établi pour bâtir une société plus juste et plus humaine sont passés du côté opposé : celui de l’ordre et de la rigidité.

Pourquoi ? Parce que les deux camps ne représentent qu’un seul ensemble, qui fonctionne sous forme cyclique, comme le jour et la nuit.

En 2023, ceux qui veulent interdire des livres le font au nom de la déconstruction et de l’ouverture. En le faisant, ils passent dans le camp de l’ordre.

Ce sont les mêmes personnes, mais à des moments différents : les deux camps ne forment qu’un seul groupe, réuni autour d’une croyance unique : « les autres ont tort, j’ai raison ».

Pour sortir de ce modèle qui a fait tellement de ravages et qui est en train de détruire tout ce qui restait de bon sur le web aujourd’hui, il faut sortir de la vision « noir ou blanc ». Il faut arrêter de vivre dans l’illusion qu’un camp a raison sur tout, et que l’autre a tort sur tout.

Dans nos vies personnelles, on ne vit pas en regardant le monde et les gens sous l’angle de l’antagonisme : il serait impossible de s’entendre avec ses voisins, ses collègues et même avec son conjoint ou ses enfants. La vie serait une guerre perpétuelle et on vivrait dans la lutte, dans la peur, dans la destruction.

Ce qu’on fait à titre personnel quand on est un humain sensé, c’est qu’on prend le meilleur de chacun et de chaque chose : mon voisin est quelqu’un de bien, j’apprécie échanger avec lui, mais je n’ai pas forcément ses goûts musicaux ni ses opinions sur la vie après la mort. Je peux apprendre de lui sur les sujets qu’il maîtrise et je sais que sur d’autres, ce qu’il raconte n’a pas de sens pour moi.

Je ne vais pas aller brûler sa maison, détruire ses cultures et empoisonner son puits parce qu’on n’est pas d’accord sur certaines choses. Je ne vais pas non plus aller essayer de le convaincre que j’ai raison sur tout. Je m’en fous : il est mon voisin, on s’entend bien, il m’a ouvert l’esprit sur certains sujets, mais je crois qu’il a tort sur d’autres et c’est très bien comme ça.

C’est ce que font la plupart des gens avec les humains qui partagent leur vie : ils ne fonctionnent pas par antagonisme. Ils ne sont pas radicaux. Ils prennent le meilleur de ce qu’il y a à prendre et laissent le reste de côté.

Pourquoi est-ce qu’on ne ferait pas la même chose lorsqu’on crée du contenu ? Ou lorsqu’on lance un mouvement d’idées ?

C’est plus difficile, par ce que ça offre forcément moins de visibilité, surtout dans un monde où les idées sont filtrées par des algorithmes qui mettent en valeur l’antagonisme.

Les deux camps que j’ai décrits plus haut n’en forment en réalité qu’un seul : c’est le camp du « eux ou nous ». « X ou Y ». « Tort ou raison ».

Il y en a un autre, pourtant, qui fait beaucoup moins de bruit et qu’on entend donc moins : c’est le camp du « eux ET nous ». Le camp du « X ET Y ». Le camp de la nuance, de la prise de recul. Le camp qui dit « chacun (y compris moi) peut avoir à la fois tort et raison ». Le camp qui croit que l’antagonisme empêche la réflexion, la remise en question, la progression et qu’il est donc un obstacle à la recherche de ce qui est bon et de ce qui est vrai.

J’ai mis des décennies à comprendre ça. Pourtant, dit comme ça, ça semble simple et évident…

Le web d’aujourd’hui nous incite à croire en l’antagonisme, parce que c’est ce qu’il met en valeur. Partout, il faut choisir un camp. Partout, il faut avoir un avis « pour » ou « contre ». Partout, il faut devenir un radical, c’est-à-dire, soit aimer avec passion, soit haïr avec fureur.

Mais si on prenait un petit peu de recul sur tout ça ? Si on arrivait à voir que la vérité est souvent plus complexe que « blanc ou noir », « vrai ou faux », « bien ou mal » ?

Ça nous aiderait peut-être à vivre un peu mieux…


📷 La photo du jour :

Les chats, en train de superviser les travaux de la toiture.


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